Qu'est-ce donc que la maxixe ? Une danse venue du Brésil, aurait répondu sans hésiter un Parisien de la Belle Époque. Ce genre musical et chorégraphique, créé à Rio de Janeiro dans le dernier quart du XIXe siècle et considéré par certains comme un ancêtre de la samba, connut son heure de gloire à Paris dans les années qui précédèrent le premier conflit mondial. Retour sur un épisode méconnu de la passion des Français pour les rythmes exotiques
Au début du XXe siècle, la ville de Rio s'enflamme pour le maxixe, un rythme syncopé et une danse sensuelle héritée des chorégraphies africaines. En dépit des condamnations répétées des autorités locales qui trouvaient la danse trop 'sugestive', la nouvelle danse s'impose dans les bals de carnaval, les cabarets et revues musicales des théâtres du centre ville. Mais qu'est ce qu'au juste que la maxixe ?
Ce genre musical et chorégraphique est né dans le quartier populaires et métissés de la capitale du Brésil au cours des années 1870. Les danses européennes, comme la polka et la scottish, connaissent alors un franc succès en Amérique latine. À Rio, les petits groupes de musiciens qui se regroupent dans les rues pour jouer des sérénades intègrent ces nouveaux rythmes auxquels ils ajoutent un jeito, un "petit rien si typiquement brésilien" comme l'écrira plus tard le compositeur Darius Milhaud.
Le maxixe naît de ce mode d'interprétation qui mêle aux structures binaires des danses européennes, un rythme syncopé proche de la habanera cubaine. Ce rythme est connu au Brésil sous le nom de "syncope caractéristique", car on le retrouve dans de nombreux genres de musique populaire comme le choro et les premières sambas. On retrouve un exemple de cette syncope dans Araguaya, de Marcel Chapuis.
Le maxixe devient un genre musical à part entière dans les premières années du XXe siècle grâce aux compositions des pianistes Ernesto Nazareth et Chiquinha Gonzaga, la créatrice du célèbre Corta Jaca dont on peut écouter un extrait ici. Le rythme syncopé sert de support aux évolutions des danseurs : en couple, front contre front, les partenaires adoptent des attitudes sensuelles et enchaînent des figures acrobatiques. La chorégraphie fait la part belle aux ondulations du corps et aux mouvements de hanches, connus au Brésil sous le nom de rebolado.
Le maxixe n'est pas vu d'un très bon oeil par la bourgeoisie de Rio: "danse indécente et licencieuse", "fureur lubrique", "atteinte aux bonnes moeurs", les critiques pleuvent. Les élites de la Belle Époque tropicale entendent "civiliser" le Brésil et s'inquiètent de la prolifération des "rythmes barbares" des anciens esclaves (note: en 1888, le Brésil est un des derniers pays à avoir aboli l'esclavage).
Aussi la mode du maxixe est-elle condamnée par les autorités ecclésiastiques, par une partie de la bourgeoisie carioca (note : ce terme désigne les habitants de Rio) et par les responsables politiques de la nouvelle République du Brésil. En 1883, la mairie de Rio interdit l'ouverture de nouveaux lieux de réunion "de basse catégorie sociale, dans lesquels la danse est pratiquée avec toutes ses extases chorégraphiques". En 1907, le maréchal Hermes da Fonseca, qui est alors Ministre de la Guerre, interdit aux orchestres militaires de jouer des maxixes lors des cérémonies et actes officiels. Rien n'y fait cependant. Le maxixe s'impose dans les quartiers populaires du centre de Rio en dépit de la triple condamnation morale, religieuse et politique. En 1910, seuls les quartiers chics de la ville, comme Botafogo, échappent à la onda maxixeira.
Quelques années plus tard, l'onde atteint l'Europe et notamment la France où les "danses exotiques" font fureur. Traversant l'océan, le maxixe change de genre et devient la maxixe : "la nouvelle danse dont le Tout Paris raffole
Quand la maxixe débarque à Paris en 1912, le public français découvre un univers sonore inédit. Les rythmes afro-brésiliens sont encore très peu connus à une époque où le marché du disque est encore balbutiant et les voyages transatlantiques demeurent longs et onéreux (note : malgré les progrès effectué grâce à la navigation à vapeur, il faut compter un mois pour la traversée).
Toutefois, le mot " maxixe " n'est pas inconnu des Français. En 1905, Félix Mayol, le roi du music-hall, a interprété une "marche espagnole" intitulée La Matchitche (ou Mattchiche). Après Viens poupoule, l'artiste signe avec " C'est la danse nouvelle / Mademoiselle " l'un des plus grands succès de la Belle Époque: tous les chanteurs fantaisistes reprennent la chanson écrite par Charles Borel-Clerc sur le refrain d'une zarzuela espagnole. Fragson, Mistinguett et le jeune Maurice Chevalier entonnent l'air de la Matchitche, qui n'a rien de brésilien et dont les paroles évoquent "un espagnol sévère".
Cette "chanson dansée" attise la curiosité de la presse : dans Le Paris Illustré, le journaliste Henri Cozon ne cache pas son admiration pour le numéro de Matchiche présenté par mesdemoiselles Rieuse et Nichette au Théâtre de Marigny:
" Quel étonnement, quelle admiration au spectacle si gracieux, si pittoresque et chatoyant, d'une élégance pleine de goût, d'un style original, qu'offraient les pas, les évolutions, les ondulations de ce jeune couple aux costumes des pampas ! C'était la " Maxix " (prononcez matchiche, c'est plus doux) venue en droite ligne du pays des Incas, ou de quelque autre contrée voisine, et qui, toute chaude encore du brûlant soleil équatorial, retrouvera sûrement, aux lumières de nos salons parisiens, cet hiver, le succès de vogue de sa terre natale "
En 1912, cependant, la fièvre de la Mattchiche est retombée et c'est un nouveau genre musical qui s'impose sur les scènes françaises. Peu de temps après le tango, la " maxixe brésilienne " fait son entrée dans les dancings parisiens grâce au charme du " célèbre professeur Duque ".
Originaire de l'État de Bahia dans le Nord-Est du Brésil, le danseur brésilien s'appelle en réalité Antonio Lopes de Amorim Diniz. Surnommé " Duque " en raison de son élégance, il habite un temps à Rio où il passe ses soirées à danser la maxixe et travaille le jour comme dentiste. En 1911, il part tenter sa chance à Paris où ses talents pour la danse ne demeurent pas longtemps inaperçus. La mode est alors au tango et le jeune homme ne voit aucun inconvénient à esquisser les pas argentins. Très vite, cependant, il propose au public des cabarets de Montmartre et Montparnasse, un numéro de " tango brésilien " ou " maxixe brésilienne ", les deux expressions demeurant équivalentes tout au long de la période.
Accompagné par l'actrice brésilienne Maria Lina, il obtient de nombreux succès, ouvre une école de danse au 5 Cité Pigalle en 1913, et devient l'une des coqueluches de la nuit parisienne dans les mois qui précèdent la Première Guerre mondiale.
L'ascension du " célèbre professeur " au fort accent brésilien est éclatante : après avoir donné des galas au Théâtre Fémina, Duque prend la direction du Dancing Palace, un des lieux de danse les plus élégants de la capitale, situé à la lisière du Bois de Boulogne et à proximité des montagnes russes du Luna Park.
Les couples de la haute bourgeoisie française s'entraînent aux pas et attitudes de la " maxixe brésilienne ", la nouvelle danse exotique à la mode. Afin de pouvoir restituer l'ambiance sonore des bals de Rio, Duque fait venir du Portugal le compositeur brésilien Nicolino Milano. Celui-ci mène les 130 musiciens de l'orchestre du dancing palace et est à l'origine de l'édition de nombreuses " maxixes brésiliennes " en France.
En effet, l'engouement des parisiens pour ce nouveau rythme exotique n'échappe pas aux industriels de la musique. Les éditeurs musicaux spécialisés dans le répertoire de musique légère, tels Francis Salabert et F. D. Marchetti, publient de nombreux petits formats de maxixe à partir de 1912. Araguaya, Amapa, Carinhoso, Max Linder maxixe, Surubu, Gaucho. Plus de 72 partitions sont conservées aujourd'hui au département de la Musique de la Bibliothèque Nationale de France.
Quoi qu'il en soit, l'édition de partitions de maxixe permet au genre musical de sortir de la confidentialité.
Comme nous pouvons l'entendre en comparant les enregistrements réalisés par les orchestres français et ceux réalisés au Brésil à la même période, la maxixe n'est pas un rythme d'exécution facile pour les musiciens européens !
Les différences observées dans les enregistrements sont assez surprenantes car les partitions de maxixe éditées en France sont relativement fidèles au rythme brésiliens. Comment expliquer ce décalage ?
Un premier élément d'explication réside dans l'instrumentation : les instruments comme le cavaquinho (petite guitare à quatre cordes, proche du banjo) ou le reco-reco (racleur) sont inconnus des musiciens français.
Un second élément tient au jeito et à la part d'improvisation que comportait alors la musique populaire brésilienne. Au son des orchestres français, le rythme de la maxixe brésilienne se perd, et, à l'image du rythme, la chorégraphie de la maxixe évolue lors de la traversée de l'Atlantique. À partir de 1913, la presse féminine et les revues consacrées à la danse de société consacrent de nombreux reportages à la maxixe définie comme " le dernier cri des danses nouvelles " ou comme " le fin du fin en art chorégraphique ".